Alsaciens-Lorrains

Si la France déplorait la perte de ses « provinces perdues »  lors de la guerre de 1870, la situation des Alsaciens-Lorrains présents sur le territoire français posait problème aux autorités. Devaient-ils être considérés comme des ressortissants de puissances ennemies, puisque de nationalité allemande ? Comment traiter les prisonniers de guerre alsaciens-lorrains capturés lors de combats, ou se proclamant déserteurs de l’armée du Reich ? Comme l’explique Clément Thiriau,

« La solution qui aurait consisté à octroyer massivement la nationalité française aux Alsaciens-Lorrains n’est pas retenue. Les pratiques administratives tendent à créer à leur égard “un curieux statut intermédiaire entre celui de l’étranger ressortissant d’une puissance ennemie et le réfugié français”. […] Les autorités françaises classent les Alsaciens-Lorrains alors présents sur le territoire français en quatre groupes : ceux qui se trouvaient déjà en France au moment de la déclaration de guerre ; les réfugiés, c’est-à-dire les personnes qui ont pu quitter volontairement les régions annexées depuis le début de la guerre ; les Alsaciens-Lorrains habitant les pays alliés ou neutres qui sont venus en France ; et ceux qui ont été évacués d’Alsace-Lorraine “par les soins de l’autorité militaire, soit pour les soustraire à la mobilisation allemande, soit pour des motifs d’ordre militaire”. Dans les trois premiers groupes figurent des individus à qui ont été remis des permis de séjour dès le début des hostilités. Les autres cas sont examinés par la Commission Interministérielle des Otages et Evacués alsaciens-lorrains, généralement dans des dépôts de triage, pour être classer dans trois grandes catégories, chaque catégorie déterminant un type de régime. La catégorie N°1 regroupe ceux qui sont “considérés comme d’attitude incertaine et de sentiments douteux”, les fonctionnaires rémunérés par l’Etat allemand, les prostituées, les marchands ambulants et les forains, les romanichels, les repris de justice. Ils sont pourvus d’une carte blanche et jouissent d’une liberté relative : leurs droits de déplacement et de résidence se trouvent limités. Les réfugiés, c’est-à-dire les personnes qui avaient pu quitter volontairement les régions annexées depuis le début de la guerre, présumés de sentiments francophiles, reçoivent une carte tricolore, gage de leur loyauté, et peuvent prétendre, s’ils ont un travail, à l’allocation de réfugiés ou à être reçus dans des dépôts libres s’ils ne parlent pas la langue française (catégorie n°2). Enfin, ceux qui sont “suspects au point de vue national” (catégorie S), à savoir des Alsaciens-Lorrains ayant tenu des propos hostiles, les déserteurs de dépôts d’internement, les personnes sur qui pèsent des présomptions d’espionnage sans que la preuve de leur culpabilité puisse toutefois être établie. »

Clément Thiriau, Immigration volontaire ou forcée des allemands et des alsaciens-lorrains dans les Vosges (1911-1920), Mémoire de Master 2 d’histoire contemporaine, Université Nancy II, 2007, p. 46-48 et p. 71.

incidents Champ du Geai – 1 et 2 ; © ADL 4 M 530 : Surveillance des Alsaciens-Lorrains

incidents Champ du Geai – 1 © ADL 4 M 530 : Surveillance des Alsaciens-Lorrains

L’ambivalence, voire l’arbitraire sont de mise. Les Alsaciens-Lorrains, germanophones, ont souvent souffert des préjugés de la population, qui les assimile volontiers à des espions allemands. Des enquêtes sont menées à leur encontre, comme celles qui ont lieu à Saint-Chamond sur Florence Ullmann, domestique au magasin « Aux 100 000 Jupons », rue de la République, dont le patriotisme est questionné par la gendarmerie et le commissaire de police en 1914. Les travailleurs Alsaciens, recrutés dans les usines de Saint-Chamond, sont présentés comme de mauvais patriotes par leurs employeurs, dès qu’ils contestent leurs conditions de travail ou de rémunération.

L’hostilité latente que ressentent de nombreux Alsaciens-Lorrains génère des incidents, plus ou moins grande : un certain Alphonse Soultzer est ainsi arrêté par la police à Saint-Chamond le 30 novembre 1916 dans le cantonnement du Champ du Geai, dans lequel sont logés des ouvriers serbes, belges, espagnols et alsaciens travaillant pour l’usine de la soie d’Izieux.

incidents Champ du Geai – 1 et 2 ; © ADL 4 M 530 : Surveillance des Alsaciens-Lorrains

incidents Champ du Geai – 2 © ADL 4 M 530 : Surveillance des Alsaciens-Lorrains

Sous l’emprise de l’alcool, il aurait tenu des propos provocants à l’égard de ses camarades de chambrée : « France, Belgique, Serbie, petites, écrasées ! Allemagne, forte, grande ! Moi ici pour manger – pas peur ! », rapportés par les agents de police. Nul doute que le passage à Saint-Chamond de cet ouvrier fût abrégé du fait de cet incident, et qu’il regagna prestement un centre d’internement administratif…

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