Espagnols

Alors qu’ils ne représentaient qu’une partie négligeable de la population étrangère en 1911, les Espagnols ont constitué le groupe national numériquement le plus important, et dont l’impact s’est révélé le plus durable sur le peuplement de Saint-Chamond. Lors du recensement de 1921, le premier effectué après la Grande Guerre, on recense ainsi 165 espagnols à Saint-Chamond, et presque autant à Izieux. Sur la commune centre, ils représentent 34 % des étrangers, et ont ainsi ravi la première place aux Italiens (32 %), d’implantation plus ancienne.

Un examen des notes de frais d’un convoi de recrutement d’Espagnols par l’entreprise Chavanne-Brun © ADL MR 29 : Archives Chavanne-Brun (en cours d’inventaire)

Un examen des notes de frais d’un convoi de recrutement d’Espagnols par l’entreprise Chavanne-Brun © ADL MR 29 : Archives Chavanne-Brun (en cours d’inventaire)

Avant 1914, les migrants espagnols viennent en France sur la base d’une migration saisonnière, liée aux travaux des champs. La situation évolue avec la pénurie de main-d’œuvre industrielle causée par la mobilisation des ouvriers français. Si la loi Dalbiez du 26 juin 1915 permet à près de 500 000 soldats d’être mis à disposition des industriels, les bras manquent pour assurer une partie des tâches non spécialisées des usines de guerre (terrassement, tournage d’obus, etc.). L’Espagne présente l’avantage d’être frontalière avec la France, de constituer un pays neutre, et de connaître pendant la guerre une grave crise économique qui facilite l’émigration des travailleurs. Le sous secrétariat d’Etat à l’artillerie et aux munitions organise ainsi le recrutement de manœuvres espagnols en masse pour le compte des industriels. Ceux-ci n’hésitent pas non plus à recourir à des officines privées de recrutement, voire à dépêcher leurs propres représentants pour embaucher des travailleurs aux gares frontières des Pyrénées (Bourg-Madame et Cerbère). Enfin, des travailleurs espagnols présents sur place proposent souvent leurs services aux industriels, et se font fort de leur proposer des hommes, sélectionnés sur la base de leur sociabilité de village.

Un courrier d’offre de services d’un intermédiaire espagnol © ADL MR 29 : Archives Chavanne-Brun (en cours d’inventaire)

Un courrier d’offre de services d’un intermédiaire espagnol © ADL MR 29 : Archives Chavanne-Brun (en cours d’inventaire)

L’usine Chavanne-Brun, à Saint-Chamond, constitue ainsi un exemple de recrutement « privé » de travailleurs. A plusieurs reprises, en 1917, l’entreprise dépêche un employé à la frontière pour organiser le recrutement de manœuvres. Celui-ci n’hésite pas à recourir à la corruption de fonctionnaires espagnols pour parvenir à ses fins. L’entreprise reste vigilante sur le coût de revient de ces convois, et manifeste un mépris certain pour les travailleurs ainsi embauchés, comparés à du bétail. Cette main-d’œuvre, peu qualifiée, et donc moins bien payée que d’autres ouvriers, présente l’avantage d’être facilement remplaçable. A la moindre protestation, les ouvriers récalcitrants sont ainsi expulsés vers l’Espagne, avec le concours du commissaire de police de Saint-Chamond. Du reste, comme l’a dit, de nombreux Espagnols proposent eux-mêmes leurs services à l’entreprise pour assurer l’arrivée de nouveaux travailleurs.

Leur présence sur l’espace public avive certaines tensions, des rixes étant signalées entre ouvriers espagnols et soldats permissionnaires – le caractère « neutre » de l’Espagne attisant les tensions entre militaires et civils.

Sur Saint-Chamond, ces Espagnols sont logés à Saint-Ennemond, ou dans les cantonnements mis en place près des Aciéries de la Marine, à Izieux – notamment le long du boulevard Georges Clémenceau : le recensement d’Izieux de 1921 atteste d’une présence encore très importante dans ces logements après la fin de la guerre. Ainsi, si la « noria » espagnole a pour partie été constituée de travailleurs de passage, un certain nombre d’entre eux s’installent sur le territoire, et préfigurent les prochaines vagues d’immigration ibérique, à la fin des années 1930 suite à la guerre civile, et après la seconde guerre mondiale.

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