Ressortissants ennemis

feuillet modèle n°5, © Ministère de la Défense, Armée de Terre, Commandement de la Légion étrangère, Division des ressources humaines, Bureau des anciens

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Avant la guerre, on retrouve la trace de sujets allemands et austro-hongrois qui résident à Saint-Chamond. Ce sont principalement des employés de l’industrie, comme Carl Kilhmer (né en 1884), voire des ingénieurs tels que Arthur Hubner (né en 1887), qui travaille aux Aciéries de la Marine, dont on retrouve trace dans le recensement de 1911. Ces hommes jeunes viennent ainsi travailler dans un territoire dynamique, où le développement de la sidérurgie et des ateliers mécaniques offrent des opportunités de carrière. De même, des ouvriers spécialisés peuvent gagner la vallée du Gier pour trouver facilement à s’embaucher. C’est le cas de Wladislaw Skudlarsky, sujet polonais de l’empire austro-hongrois, qui s’installe à Saint-Chamond en 1910, à l’âge de 22 ans. Il travaille successivement pour l’entreprise Rafer, à Saint-Julien (lacets métalliques, puis chaînes de vélo, de moto et d’auto), puis aux Aciéries de la Marine, où il occupe la fonction d’ouvrier mécanicien ajusteur. Il épouse en fin d’année une jeune fille de Saint-Julien-en-Jarès, Fanny Labat, avec laquelle il a déjà deux enfants en 1914.

feuillet modèle n°5, © Ministère de la Défense, Armée de Terre, Commandement de la Légion étrangère, Division des ressources humaines, Bureau des anciens

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Comme son compatriote autrichien Albino Caumo, arrivé comme colporteur à Saint-Chamond en 1911, la déclaration de guerre le place dans une situation délicate : ressortissant d’une puissance ennemie de la France, il est menacé d’expulsion, voire d’internement administratif, comme les milliers d’Allemands, Austro-hongrois et sujets ottomans présent sur le territoire en août 1914, comme l’explique l’historien Gérard Noiriel :

« Dès la déclaration de guerre, le 2 août 1914, un décret oblige tous les étrangers résidant en France (ils sont alors plus d’un million) à demander un permis de séjour aux autorités officielles. Le lendemain, un autre décret réintroduit l’obligation du passeport et du visa, de façon à contrôler strictement les frontières. Les opérations de vérification des identités réalisées à cette occasion se soldent par l’internement de plusieurs dizaines de milliers de personnes dans des “camps de concentration” (selon le terme officiel). Ces mesures coercitives sont adoptées dans un climat d’extrême tension qui s’accompagne d’un déchaînement de la xénophobie, attisée par la grande presse.

Des manifestations d’hostilité à l’égard des étrangers sont constatées dans tout le pays. Les personnes qui sont considérées comme des “boches” sont molestées, leurs biens sont saccagés, leurs magasins pillés. Un témoin a raconté que “les Français étaient comme fous, ils considéraient tout Allemand comme espion”. La situation est d’autant plus dramatique pour les immigrants issus des Etats en guerre contre la France qu’ils ne parviennent pas à quitter le pays car les trains sont réquisitionnés par l’armée. L’agressivité de la population oblige les pouvoirs publics à acheminer de nuit les convois d’étrangers expulsés. »

Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe – XXe siècles). Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007, p. 288-289

Afin d’échapper à ce sort, d’autant plus qu’il a fondé famille en France (il réside en 1914 à Saint-Martin-en-Coaillieux), Wladislaw Skudlarsky doit s’engager dans la Légion étrangère – ce qui lui vaut la promesse d’une naturalisation à la fin du conflit. Il restera en Afrique du Nord, engagés dans des opérations de pacification contre les indigènes, jusqu’en avril 1919, avant de revenir vivre à Izieux avec sa femme et ses enfants. Sa trajectoire est exemplaire du destin des ressortissants ennemis pendant la Première guerre mondiale.

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