Boulevard Alsace-Lorraine

Le souvenir des provinces perdues

Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, les armées françaises sont vaincues à Sedan. Cette catastrophe militaire provoque la chute du 2nd Empire et de Napoléon III, et précipite la proclamation de la 3e République. Le nouveau régime choisit de poursuivre la guerre, mais ses efforts pour mobiliser la Nation contre l’envahisseur se révèlent vains. En janvier 1871, la France capitule. Le Traité de paix est signé à Francfort le 10 mai 1871. L’empire allemand, proclamé autour du roi de Prusse suite à son triomphe, obtient du vaincu une colossale indemnité de guerre (5 milliards de francs or) ainsi que la province « germanique » d’Alsace (à l’exception du territoire de Belfort), et des parties conséquentes des départements de Meurthe, Moselle (Lorraine) et quelques cantons vosgiens.

Empire allemand après la guerre de 1870

Empire allemand après la guerre de 1870

La perte de ces territoires (français depuis le 17e voire le 16e siècle) entretient une animosité certaine entre l’Allemagne et la France. Pour la première, les populations parlant un dialecte « germanique » doivent être rattachées au « Reich », puisqu’elles font partie du « Volk » (peuple) allemand. Pour les Français, les délégués d’Alsace et de Lorraine ayant participé à la Fête de la Fédération le 14 juillet 1790, ont marqué par là leur libre adhésion à la nation française. De fait, on assiste dans l’immédiat après-guerre à un afflux de réfugiés Alsaciens et Lorrains choisissant de quitter leur foyer pour gagner la France.

La perte de l’Alsace-Lorraine devient un mythe politique fédérateur dans la France des années 1870-1890, qui se traduit dans la culture populaire par de nombreuses chansons (Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, la fiancée Alsacienne). « Le revanchisme » constitue également une force politique qui s’appuie sur des ligues nationalistes. Le « boulangisme », du nom du général Boulanger en constitue la traduction politique la plus prononcée, et manque de peu de précipiter la France dans un nouveau conflit avec l’Allemagne.

Dessin de Hansi : On note les petits drapeaux français qu’agitent les enfants

Dessin de Hansi : On note les petits drapeaux français qu’agitent les enfants

Parce que le nationalisme constitue une menace politique pour le régime, les républicains au pouvoir s’attachent à la fin des années 1880 à « calmer le jeu » avec l’Allemagne. La construction d’un vaste empire colonial outre-mer (en Afrique et en Asie du sud-est) constitue un dérivatif, qui permet d’exalter les triomphes du régime, plutôt que de ressasser la défaite de 1870. Toutefois, si le « revanchisme » perd de sa substance politique, les républicains maintiennent le souvenir des « provinces perdues » dans la conscience nationale. Dénommer une rue « Alsace-Lorraine » comme à Saint-Chamond en 1889 contribue à peu de frais à l’entretien de cette nostalgie, à laquelle participe le contenu de manuels scolaires (comme le Tour de France de deux enfants, qui voit deux jeunes réfugiés lorrains visiter l’intégralité du territoire national, et qui est réédité jusqu’en 1906) ou le succès dans les années 1910 des dessins de Hansi, qui exaltent la résistance passive des Alsaciens aux politiques de « germanisation » menées par le Reich.

Toutefois, l’essentiel des tensions franco-allemandes des années 1904-1914 portent sur des différends coloniaux (question du Maroc, notamment) plutôt que sur l’Alsace-Lorraine. A la veille de la guerre de 1914, c’est une génération qui n’a pas connu le désastre de 1870 qui assiste à la montée des périls suite à l’assassinat de l’archiduc autrichien François-Ferdinand à Sarajevo. En 1914, la France n’est pas prête à partir en guerre pour l’Alsace-Lorraine, même si la récupération des provinces perdues va devenir un « but de guerre » pour le gouvernement français.

L’historique de la rue Alsace-Lorraine à Saint-Chamond

© Médiathèque Louise Labé / Saint-Chamond

© Médiathèque Louise Labé / Saint-Chamond

La rue Alsace-Lorraine, anciennement rue des Portes-Palluat, a été dénommée ainsi par délibération du conseil municipal de Saint-Chamond le 23 mars 1889. Le registre du conseil indique que le changement de nom d’un certain nombre de rues et places de la ville avait déjà été discuté lors de la séance du 22 février 1889, mais qu’un délai permettant à tous les membres du conseil de pouvoir examiner le rapport de la commission pour la modification des noms de rues avait été décidé à cette occasion.

Le rapporteur du projet, François Marcoux, propose à l’occasion de la délibération finale de son rapport, de dénommer la place Saint-Jean « place de la Fraternité ». Dans le même temps, son collège M. Viallon propose le changement de nom de la rue des Portes. Pour les élus républicains qui dirigent la municipalité, ces propositions s’inscrivent dans une démarche politique de légitimation du régime – qui fête cette même année les 100 ans de la Révolution française. Michel Renard note ainsi sur son blog que le rapport de M. Marcoux comprend de nombreuses propositions qui magnifient le souvenir de la Révolution (rue du Chemin-Neuf qui devient rue Barra, place Notre-Dame qui devient place de la Liberté, place de la Croix-de-Beaujeu qui devient la place de l’Egalité) et la République (la Grande Rue devenant rue de la République, la rue de Saint-Etienne devenant la rue Gambetta, la rue de Lyon devenant la rue Victor-Hugo). La célébration des provinces perdues, qui avaient marqué leur attachement volontaire à la France lors de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, participe bien de ce projet politique. On note du reste que le rapport, ainsi que les deux propositions complémentaires, ont été adoptées par 8 voix contre 7, indiquant ainsi une forte opposition partisane sur ce dossier.

© Médiathèque Louise Labé / Saint-Chamond

© Médiathèque Louise Labé / Saint-Chamond

Rue populeuse loties d’immeubles où des commerces occupaient les devantures des rez-de-chaussée, la rue Alsace-Lorraine reliait en 1914 la place de l’Abattoir, aux faubourgs de la ville, à la rue de la République – le boulevard Delay n’existait pas encore, le Gier traversant à son niveau la ville à ciel ouvert. Elle constituait également la voie qu’empruntaient les voyageurs sur l’axe Saint-Étienne/Lyon. Elle a connu de nombreuses modifications de tracé au gré des transformations de Saint-Chamond – une partie de la rue a ainsi été détruite dans les années 1960, pour aérer le centre-ville avec la création du square Croix-Gauthier.

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